Les coquelicots dans les champs de blé
Relèvent la tête sans être accablés,
Ils revoient le temps si proche et lointain,
Où l'homme boudait d'un regard hautain ;
Mais la fleur du diable est ainsi conçue
Qu'elle refleurira sous les yeux déçus,
A peine détruite elle repeuplera
Les vastes étendues bordant les syrahs.
Les coquelicots sont toujours maudits
Par les soubresauts d'un monde attiédi,
Pour lequel le rouge signifie le sang
Qu'il a trop versé sur tous les versants !
Si faire la guerre ne lui convient plus
J'applaudis très fort, affaire conclue,
Pourquoi, en secret, tisse-t-il les chaînes
De celle qui sera peut-être la prochaine ?
Les coquelicots dans les champs de blé
Diffusent leurs senteurs à nos sens troublés ;
Si j'entends souvent qu'elles rendent fou
Le pauvre passant que l'été bafoue,
Je me laisse aller jusqu'à leur ivresse,
Ephémère et tendre comme une caresse,
J'invente des couleurs et des sons nouveaux,
Un havre de paix pour mon fier cerveau,
J'invente
Un vaste océan de rouge et de vert,
Une houle étrange, les blés à l'envers,
Où le vent se joue du rideau flexible
Des tiges et des feuilles qu'il a prises pour cible,
Un enchantement, une poésie
D'archers de violons, sublime ambroisie,
Solos de piano au marteau léger
D'un épi trop mûr aux bras allongés.
Les coquelicots dans les champs de blé
En vieux bohémiens aux désirs comblés,
Racontent leur vie et les grands voyages
Que le ciel offrit tout au long de l'âge,
Au marcheur ravi ému de leur chant
Qui les embellit au soleil couchant,
Et qui les fait siens pour une seconde
Avant de reprendre sa route vagabonde.
Coquelicot, mon ami,
Cher complice d'infortune,
Les étoiles endormies
Se rallument une à une,
Coquelicot, mon ami,
La Nuit, comme une toile,
Nous recouvre à demi
De son pudique voile,
L'invincible, l'indicible accalmie
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