Le Bac de Barcarin

Paroles Gérard Tanneau
Musique J-M LOUBRY

 

Par les soirs de grand Rhône au bac de Barcarin
J'irai toucher l'été d'un œil neuf qui musarde
J'irai moquer les saules, rire des peupliers
J'irai faire semblant d'être un passant qui tarde

On me donnera seize ans juste à la quarantaine
Dans tous les clapotis je verrai des castors
Toutes les herbacées me conteront fredaine
De tous les poissons-chats je serai le mentor

Docte et impénitent mes leçons sans malice
Leur diront trois fois tout sur leur destin qui dort
Tout au fond des trous d'eau entre les berges lisses
Du Rhône impétueux qui descend sans effort

Pas un petit nuage et pas une seconde
Qui ne me mentiront, pas un souffle de vent
Où ne frissonne un doute, pas un reflet de l'onde
Pas un pli dans le ciel qui ne me soit tourment

Un chagrin pressenti, une peine artifice
Un rire cristallin me naîtront des pastels
Que la nature a fait exprès pour nos délices
Un drame me prendra à tarder devant elle

Frissonnement des saules jacassement des pies
Toute la nostalgie qui tient dans une barque
Avec sa longue laisse, traînante, alanguie
Avec la silhouette du pêcheur qui la garde

Et toute la fadeur des soirs de Barcarin
Et tout le tendre leurre d'un été qui s'attarde
Me prendront en pitié et moi en pitié d'eux
Quand le soleil avoue au ras des branches basses

Il n'y aura pas de cœur alors plus consentant
Plus gai pour cette mouche, plus naïf pour cette ombre
Plus intime à ce geai et plus reconnaissant
Que le mien à deux doigts de rencontrer les ombres

Il n'y aura pas d'espoir plus croyant, enfantin
Pas plus qu'en moi aux rayons d'espérance
Pas mieux aux herbes folles, aux bouleaux, aux serins
Pas plus au crépuscule de destin qui s'épanche

J'irai là sans angoisse, l'espérance d'un rien
Me donnera l'élan de sauter la barrière
Pour embrasser le garde et sa femme et le chien
Espérant la portée de la chienne, derrière

Je ne les craindrai pas et pas non plus la mort
J'en ferai comme un nid, là-bas sur la rivière
Je vous en dirai d'autres, ce sera comme un sort
Qui plonge berce et charme, un rayon en lisière

Aux soirs de Barcarin je ne tremblerai pas
Elle semblera la brume, un doux brouillard du Rhône
D'étranges plaintes d'arbres ordonneront mes pas
Non je n'aurai pas peur gentils spectres des aulnes

Pourvu que je retourne au bac de Barcarin
Pour écouter rêveur trois feuilles mensongères
Me chanter la chanson dont je sais le refrain
Et que je reprendrai avec la terre entière

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